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Je devrais l’appeler. Oui, et s’il attendait mon appel, finalement ? J’essaie mais je n’y arrive pas. Pourtant, j’aimerais savoir où nous en sommes tous les deux. Vegas c’était il y a plusieurs semaines et depuis c’est le silence radio. Pas un coup de fil, pas un texto, vraiment, rien du tout. Et si finalement il regrettait simplement d’avoir franchi cette limite ? Une limite qu’on se donne en général quand on est ami. Parce que dans le fond, Caleb c’est juste un ami, hein ? Plutôt : était, non? Je soupire, bruyamment. J’attends mon saint-Graal dans ce café bondé. Tout ce brouhaha me donne mal à la tête en plus de mes pensées qui se chevauchent les unes par-dessus les autres. J’essaie de trouver un échappatoire à tout ceci mais rien à faire, il est toujours dans un coin de ma tête. Je me dis que s’il m’évite justement c’est parce que nous sommes allés trop loin, cette nuit-là. Et on ne va pas se mentir, ce détective c’est le genre de gars qui aime les femmes. Mais qui les aime vraiment, vous voyez ? Je ne suis pas bête, je le connais depuis plusieurs années maintenant. Et même s’il était marié jusqu’à il y a quelques mois, j’ai l’impression qu’il se « ratrappe » sur toutes ces années ou alors il chercher à combler un vide ? Quoi qu’il en soit, cette nuit à Vegas, je n’ai pas eu l’impression de combler quelque chose qui lui manquait. Enfin si peut-être un peu mais pas de la manière dont j’imaginais cet instant. Maintenant que j’ai du recul par rapport à cette bulle qu’on s’est créée durant deux jours, je crois que je vois les choses autrement : je suis sans doute une distraction. J’ai sans doute été quelqu’un qui pouvait lui offrir plus qu’une nuit, tout au long de ce weekend mais aujourd’hui, c’est autre chose, non ? Je suppose qu’il m’aurait donné des nouvelles, depuis. Alors ma poitrine se serre à cette pensée. Imaginer qu’on est une distraction, une femme qui à partagé son lit, comme beaucoup l’ont fait avant moi et continueront après moi, ce n’est absolument pas plaisant. Bien au contraire, je déteste ce que je ressens. Je me déteste aussi de m’être laissée séduite de cette façon. Même si Vegas est une ville enchanteresse, je n’aurais peut-être pas dû succomber à ses charmes si facilement parce que j’ai l’air d’une idiote à attendre qu’il me téléphone.

Et si je lui envoyais un texto, plutôt ? Ok, je recommence. J’ai vraiment l’air désespérée, ma parole ! Ce n’est pas possible. Si je cherche vraiment les réponses à mes questions, je l’appelle une bonne fois et c’est tout. J’inspire profondément, je commande mon café à la serveuse. Zéro sucre, juste deux portions  crème. Je paie, laisse un pouvoir et attends tranquillement qu’on me le prépare. Je me faufile, je slalome entre les clients et m’installe sur une chaise haute qui se trouve sous la table longeant la grande baie vitrée de l’établissement. J’aime bien regarder les gens qui passent. Certains tristes, d’autres joyeux. Quelques uns qui prennent leur temps à l’instar d’une poignée qui se dépêchent comme si leur vie en dépendait carrément. Je me vois un peu parmis tous ces moments, me donnant un équilibre presque parfait pour poursuivre cette journée. A la fin de celle-ci, j’aurais mérité mon repos, c’est certain. Toutes ces interrogations en moi me fatiguent plus qu'elles ne me donnent de réponses. J’observe mon téléphone dans ma main droite, je n’ai pas besoin de composer sur numéro puisqu’il est déjà enregistré dans mon répertoire de contacts. J’inspire profondément, je sens les battements de mon cœur battre à tout rompre tandis que je fais défiler ma maigre liste jusqu’à la lettre C. Ça sonne, je suis déterminée à ne pas raccrocher cette fois-ci. « Siobhan ? … Comme si j’attendais cet instant pour annuler l’opération en cours … Damien ? » Je raccroche sans prendre la peine de savoir si mon appel abouti. Encore une fois, je me fais une frayeur. Je renonce lâchement à lui parler. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi, hein ? Le gobelet dans les airs, j’attrape le premier qui est tendu dans ma direction. Je l’attrape et me fraye, de nouveau un chemin parmi la foule. Cet établissement à toujours eu beaucoup de succès, surtout dans les heures les plus critiques comme : au commencement d’une journée, pendant la pause déjeuner ou en fin de journée lorsqu’on troque sa mallette de travail contre sa tenue décontractée de la maison. Un repos bien mérité avant de reprendre exactement le même chemin, le lendemain matin.

Je retourne à ma place, perdue dans mes pensées, me maudissant encore une fois de n’être qu’une idiote. J’aimerais tellement comprendre ce qui m’arrive en ce moment. Je suis à cran, c’est vrai. Entre mon dossier d’adoption qui vient d’arriver pour une mise à jour des renseignements, le reste des affaires que mon ex-mari n’a pas encore récupérer dans le garde-meuble mais qui m’assure venir cette semaine tout enlever et ce que je pense ressentir pour Caleb, j’ai de quoi être sur le point de péter un câble, litté-ra-le-ment ! Je m’apprête à porter le gobelet à mes lèvres, prête à enfin calmer toute cette frustration en une seule gorgée de bonheur, quand je sens cette odeur qui n’est pas mon deux crèmes. Je pose les yeux sur le gobelet et je hausse un sourcil : en effet ce n’est pas le mien, je ne m’appelle pas Damien. Je me tourne vers le comptoir en levant mon café dans les airs pour m'apprêter à signaler l’erreur de commande. Un gars dans la trentaine avec un look classique, qui s’approche de moi avec lui aussi son café plus haut que sa tête, je me pince les lèvres en souriant : « C’est vous Damien ? Ce café doit être le vôtre… » Je lui tends. Je ne sais pas exactement quelle sorte de café il boit mais je n’aime pas trop l’odeur. La crème manque cruellement. Peut-être parce que je ne me risque jamais à rien d’autre. Bien trop peur d’être déçue, je me sécurise, me contente de boire la même chose depuis plusieurs années déjà. Depuis que je suis en âge de boire du café, il me semble ?

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Face à l’inconnu, qui doit très certainement s’appeler Damien, je tente de négocier un échange : mon café contre le sien. Je me sens un poil à cran avec ce qui m’arrive en ce moment, aussi tendue que la corde d’un arc mais sa remarque me fait sourire. Tranquillement je me détends, je retrouve de ma superbe. Un peu comme si la fille qui ronchonnait dans son coin avait enfin disparu. Ce bel inconnu m’offrait un peu de sa lumière et de sa douceur. Et puis, je suis agréablement surprise de l’entendre prononcer mon nom correctement. Avec les années je ne fais plus vraiment attention, j’ai cessé de me battre avec les gens pour ça depuis tellement longtemps. Répéter à longueur de journée, me justifier sur mes origines irlandaises de par mon père, etc. Ça va un moment mais après, je me suis vite lassée. Mes sœurs et mes parents restent fidèles à la juste prononciation et c’est tout ce qui compte au final. Alors quand je rencontre quelqu’un qui sait de quoi il parle, je ne peux que le saluer

—Oh et bien… Vous savez ce qu’on dit des irlandais ? Qu’en plus d’être très accueillants, notre premier amour est la bière ! C’est même un marqueur génétique, il me semble ! Commencez par réduire votre dose de caféine… en tout cas, j’espère que vous aimez la bière ?

Je suis une mordue de caféine, je ne pourrais m’en passer bien longtemps. Et ça, je le dois à ma mère, puisqu’elle est américaine. Elle a ça dans le sang, tout comme moi, de moitié. La bière, c’est en effet une grande histoire d’amour. La Guinness évidemment mais pas que ça. En riant, légèrement, je fais un signe de tête à Damien, nouvellement baptisé Siobhàn, pour la juste cause. Mes pensées s’éloignent le temps d’un bref instant quand je me remémore ce concours débile de bière à cette soirée étudiante. Mon ex-mari, qui ne me connaissait pas encore réellement, m'a lancé ce défi parce qu’il pensait que je parlais trop. Alors, il était loin de se douter, un seul instant, que dans mes veines, coulait du sang irlandais et que forcément —même si cette bière était de piètre qualité, j’étais sur le point de faire de lui, la risée de ses copains. Il m’en a voulu légèrement. Mais vraiment léger, hein. Et pour la peine, il n’a plus jamais essayé de me battre, d’aucune manière. Je m’installe de nouveau à la table où j’étais tout à l’heure, avec mon nouvel ami. Je décide d’engager la conversation :

—Et si non, mis à part vouloir devenir Irlandais, vous avez d’autres ambitions ?

Évidemment, je le charie. Non mais plus sérieusement, faire connaissance, c’est bien. Et ça va me permettre de penser à autre chose que Caleb !