Il ne manquait plus que ça. Un appel de l’école primaire que fréquentait Lena. Celle-ci présentait depuis quelques semaines une attitude assez effacée, un désintéressement face à tout ; ses camarades, ses apprentissages, ses professeurs. Ses résultats s’en voyaient grandement affectés. Les résultats, August ne s’en inquiétait pas davantage, il n’avait jamais trouvé que le système d’éducation représentait correctement les acquis des jeunes. Il enseignait à ses filles autrement, de son côté, notamment lors d’excursions dans la nature qui leur permettait de s’ouvrir au monde qui les entourait. Cependant il ne souhaitait pas non plus que Lena se retrouve en échec et, surtout, surtout … il ne voulait pas qu’elle se renferme complètement dans sa carapace. Elle ne voulait pas qu’elle laisse la lumière s’éteindre sur sa personnalité drôle, charmante, curieuse. Il ne voulait pas qu’elle se laisse dériver. Bien malheureusement, August savait parfaitement d’où cet égarement provenait. Non seulement la petite avait perdu sa mère l’année dernière, de manière brutale et injuste, mais en plus, son oncle avait tout récemment quitté la ville, l’État de la Californie, même, parce qu’il avait décroché son emploi de rêve à l’autre bout des États-Unis. Il avait eu sa promotion il y a quelques semaines et avait pris la décision de partir de Sunset Valley dans les jours qui suivaient, encouragé par August bien que son cœur pleurait déjà son absence. Le timing correspondait parfaitement à la dégringolade de Lena, qui avait déjà eu du mal à garder le cap lors de la dernière année. Combien de résilience August allait-il devoir demander de ses filles ? Elles atteignaient la limite de ce qu’elles pouvaient endurer. Lui aussi.

C’est en poussant un soupir qu’August pénétra dans l’école primaire. Le service de garde allait garder Lena après les heures d’école, un peu plus longtemps que d’habitude, pendant que le papa rencontrait l’assistante sociale de l’école. L’une des employées du service de garde avait même accepté de garder Mia, aussi, même si elle n’était pas encore en âge de fréquenter l’école. En voyant August avec la petite dans les bras, les traits tirés, tristes et fatigués, elle avait probablement eu pitié de lui. Il l’avait remerciée et avait suivi les indications jusqu’au bureau de l’assistante sociale. Il avait toqué malgré la porte ouverte. « Bonsoir. August Wilhelmsen, je suis le papa de Lena … » Se présenta-t-il en plongeant son regard dans celui de l’assistante sociale qui avait relevé la tête vers lui, le regardant de ses yeux d’un marron sombre, sombre comme l’esprit d’August semblait être dernièrement.

L'assistance sociale, à la seconde où elle releva le regard vers lui, se leva également de sa chaise pour venir l'accueillir. August fit deux pas vers l'avant afin de rentrer complètement dans le bureau. Il n'allait quand même pas parler de Lena, de ses angoisses et de son bagage émotionnel, en restant dans le cadre de porte. Le papa savait fort bien que la conversation qu'il aurait avec l'assistante sociale ne serait pas des plus faciles. Il lui faudrait se raconter. Raconter ses filles. Raconter leur mère qui s'en était allée. August avait encore bien du mal à parler d'elle à voix haute, il préférait encore se l'imaginer en silence. Il tendit la main vers la jeune femme lorsqu'elle lui présenta la sienne. Son regard était perçant, August s'y attardant quelques secondes de trop avant de passer une main dans ses cheveux en bataille. Il referma la porte derière lui et prit place sur la chaise en face du bureau, tel qu'indiqué par l'employée. « Merci. » Il se racla la gorge tout de suite après, replaçant la manche de son chandail et se redressant sur la chaise, visiblement inconfortable d'être là. Inconfortable de se retrouver dans la position du père qui en arrache à garder ses filles dans le droit chemin. Lui-même s'en était écarté dernièrement, difficile alors de montrer la voie à Lena et Mia. Mais il faisait de son mieux, August. Son mieux n'était actuellement pas son meilleur. « Vous l'avez sûrement lu, la mère de Lena est décédée l'année dernière. » Commença-t-il, passant à nouveau une main dans ses cheveux. « Mais c'est pas tout. Son oncle, qu'elle aimait beaucoup, est tout récemment parti à l'autre bout du pays pour le travail. Elles ont que moi, maintenant. » Il haussa lâchement les épaules. « Et c'est peut-être pas assez. » Il n'était pas assez.