Jour 3 de la disparition de Nimuë de la surface de la terre. Comme depuis hier et avant-hier, la première chose qu’elle fait en ouvrant les yeux c’est aller voir sur son téléphone si elle a des nouvelles. Pas de SMS. Suite de ce tout nouveau rituel : les réseaux sociaux. Pas de story. Pas de tweet. Pas de publication Facebook. Ni même de like sur aucune de ses publications à elle ou de vue à sa dernière story. C’est comme si Nimuë s’était totalement volatilisée. L’inquiétude tord le ventre de Freyja même si elle sait que ça ne peut rien être de grave. Grâce à la magie des liens entre deux jumelles, elle serait la première au courant si c’était quelque chose de vraiment grave. Peut-être que sa sœur a simplement eu besoin de se couper des réseaux, après son histoire avec Mélanie. Peuh. Rien que prononcer ce prénom, fut-ce dans sa tête, lui donne envie de cracher par terre. Il attire le mauvais œil, c’est certain. Mieux vaut penser le moins possible à cette fille et à la façon dont elle avait lentement mais sûrement refermé ses serres sur sa délicate sœur. Mais si Frey a tellement de mal avec cette histoire c’est peut-être parce qu’elle-même n’a rien vu venir. Elle a même encouragé sa jumelle à aller vers elle, au début, la première fois qu’elle en a entendu parler. Ça avait l’air d’être une fille bien. Peut-être qu’elle aurait pu le sentir, elle, si elle avait été là ? Peut-être qu’elle n’aurait pas du laisser la personne la plus importante de sa vie partir toute seule de l’autre côté du pays.

Ce qui est fait est fait. De toute façon, si elle était partie elle aussi, elle n’aurait jamais rencontré Salem. Elle ne serait pas assise ce matin dans leur belle petite maison, avec vue sur la plage, une tasse de café à la main. Le cliché voudrait que, dans ce tableau parfait, elle soit en train de regarder le jour se lever. Mais Freyja ne voit jamais le jour se lever, à part sur le chemin du retour, après une nuit à jouer les DJ professionnelles. L’après-midi est bien entamée et elle en est à son deuxième café, sa troisième cigarette. Ce cirque s’arrêtera-t-il un jour ? Peut-être. Sûrement, même, maintenant que Salem parle d’introduire un enfant dans leur quotidien. Ça doit vouloir dire qu’elle ne pourra plus indéfiniment jouer les adolescentes attardées, pas vrai ? Si ça se trouve, c’est carrément un message caché de la part de sa copine pour lui faire comprendre qu’il serait grand temps qu’elle devienne enfin une vraie adulte. Avec un vrai métier, comme elle. Mouais. Le vrai métier de Salem, c’est ce qui fait qu’elle n’est pas là en ce moment avec elle, à partager un café. C’est ce qui fait qu’elle n’est presque plus jamais à la maison, d’ailleurs.

Les heures passent, le soleil décline. Freyja décide de faire à manger à sa chérie, pour se faire pardonner des pensées légèrement négatives qu’elle vient de nourrir à son égard. Sur le fait qu’elle n’est jamais là, qu’elle lui impose un gosse, qu’elle doit commencer à en avoir marre d’elle. Non, rien de tout ça ne peut être vrai et, dans le pire des cas, ce n’est rien qui ne puisse être réparé par un bon vieux diner aux chandelles à l’ancienne. Elle est entrain de terminer sa fausse bolognaise - sans viande - quand elle entend Salem sonner à la porte. Juste à temps. Frey sourit alors que son cœur est rassuré ; sa meuf n’est peut-être plus aussi souvent là qu’avant, mais elle est toujours là quand il faut. Elle trottine pour aller ouvrir la porte. « Juste à temps m… NIMUË !! » Un cri hystérique s’échappe de sa gorge alors qu’elle se jette dans les bras de sa jumelle la serrant fort contre elle. « Nimuë, Nimuë, Nimuë. », elle répète son prénom, la serrant chaque fois un peu plus fort dans ses bras. Les larmes lui montent aux yeux. « Putain, j’étais à deux doigts de mettre les services secrets sur le coup. » Oui parce que la police, bon, ACAB quoi.  Évidemment, elle n’était pas inquiète à ce point là mais elle aimait bien dramatiser. « T’arrives pile à l’heure, je t’ai fait à manger ! » En deux secondes, elle a presque réellement oublié que c’était pour Salem et pas pour sa sœur qu’elle était en train de cuisiner. L’esprit de Freyja est curieux comme ça, quelques fois. Maintenant qu’elle a sa sœur sous les yeux, il n’y a plus qu’elle qui compte.