TWs: consommation d'alcool et de stupéfiants, mort d'un être proche, dépression, emprise familiale.   

Seul avec du monde autour › Difficile d’expliquer pourquoi on est qui on est sans commencer par parler d’où l’on vient. Même si souvent, quand tu regardes tes parents et plus globalement le reste de ta famille, tu te demandes à quel moment les choses ont dérapé pour toi. D’aussi loin que tu te souviennes, tu t’es jamais senti à ta place chez les Bell. On a jamais fait d’efforts pour que tu le sois non plus. T’es né un beau jour d’hiver 1997 à New-York, quelques minutes avant ta soeur jumelle, Olivia. Tu fais parti et t’en as toujours eu conscience de ces rares privilégiés qui ont débarqué sur cette Terre avec une cuillère en or dans la bouche. Ton paternel, Owen Bell est PDG de l’entreprise familiale, spécialisée dans la mise aux normes et la rénovation des bâtiments classés monuments historiques. Il hérite de cet empire grâce à son père, qui lui-même le tenait de son père avant lui. Sa mère quant à elle, Jordan, a suivi un cursus de droit des affaires et s’est également investie dans l’entreprise familiale, puis auprès de son mari lorsque celui-ci a décidé de se lancer en politique. T’avais pas encore prononcé tes premiers mots lorsque tu es monté pour la première fois dans un avion et t’as souvent l’impression que la moitié de ta vie par la suite s’est résumé à ça : bouger. Dès lors que vous avez été en âge d’aller à l’école avec ta soeur, tu as commencé à détester voyager. Votre vie entière était régie par les contrats que ton père décrochait ça et là dans le monde, peu importait votre stabilité affective et les rencontres que vous pouviez faire puisqu’à tout moment, vous étiez susceptible de déménager une nouvelle fois. Alors certes, tu t’es toujours déplacé en voiture avec chauffeur, t’as vécu dans des appartements sublimes et chaque fois un peu plus tape à l’oeil mais tu dirais pas pour autant que t’as eu une enfance heureuse. Tu n’as que très peu de souvenirs avec tes parents, toujours trop pris par leur travail pour s’occuper de vous. Ce sont diverses nourrices qui vous ont élevé ainsi que des précepteurs lorsque vous restiez trop peu de temps dans une ville pour y être scolarisé. Les Bell ont toujours accordé une grande importance à votre éducation et jusqu’à tout récemment, ton père était persuadé que tu suivrais son chemin et que tu reprendrais à ton tour l’entreprise familiale, quand bien même tu n’y as jamais accordé le moindre intérêt. Quant à Olivia, si elle désirait faire carrière c’était tout à fait envisageable mais sa priorité devait rester quoiqu’il advienne de trouver un bon parti et de faire mariage heureux, sans jamais faire de vague. Sauver les apparences, toujours, c’est avec ce crédo que vous avez grandi.

Heureusement, vous étiez ensemble tous les deux et ça a toujours été votre plus grande force, ce qui vous a sauvé. Tous les jumeaux ont une relation spéciale. La votre l’était d’autant plus que vous saviez que quoi qu’il advienne, il n’y a que sur l’autre que vous pouviez compter, que l’autre qui serait là quoi qu’il advienne. La seule personne que vous ne perdriez pas, jamais. Ta soeur, ça a toujours été ta meilleure amie, ton double au féminin, ta compagne de galères et de conneries, la seule personne au monde à qui tu vouais une confiance aveugle, sans borne. Parce qu’aux autres, il ne fallait pas s’attacher, jamais. Parce que si jamais cela arrivait, malgré vos supplications, les tentatives de négociations et autres, vous repartiez toujours.

Tu l’as appris à tes dépends Marcus. Arrivé à l’adolescence, t’as eu beaucoup de petites amourettes éphémères, comme nombres de jeunes gens de ton âge. Certaines qui ont compté plus que d’autres, mais jamais assez pour t’affecter vraiment lorsqu’inévitablement tu repartais. Jusqu’à cette fille. Mackenzie, qu’elle s’appelait. Tu souris toujours lorsque tu repenses à votre première rencontre, parce que vous n’étiez pas vraiment à votre avantage tous les deux. Dansant devant un mur de son, t’avais pas dormi depuis presque 24h et t’étais loin d’être dans ton état normal. Elle était seule, elle dansait elle aussi et t’as voulu t’assurer qu’elle allait bien, parce que t’as tout de suite deviné qu’elle était pas vraiment coutumière de ce monde, alors que toi et Olivia vous vous y étiez plongé avec délectation, un peu trop tôt sans doute. Y’a ce courant qui est passé tout de suite entre vous, ce truc inexplicable qui t’as donné envie de t’ouvrir et de veiller sur elle. Et ce jeu du chat et de la souris, ce défi que vous vous êtes lancés : le premier qui tombe amoureux a perdu. Très vite, elle est devenue indispensable pour toi Mac et tu as su, que la séparation ne te laisserais pas de marbre. Jamais tu t’es douté qu’elle ferait aussi mal cependant.

Après ça, t’as erré, beaucoup et tu t’es promis que plus jamais tu ne retomberais amoureux. T’as essayé d’être ce qu’on attendait de toi, d’être le bon garçon qui marcherait dans les pas de son père et qui le rendrait fier. Mais malgré toute la bonne volonté du monde, (ou peut-être pas tant que ça) t’as échoué. Tu t’es perdu dans le monde de la nuit, dans les méandres de la drogue et des plaisirs charnels. Sans doute parce qu’ils t’aidaient à anesthésier la douleur, à faire taire la colère qui chaque jour venait te ronger un peu plus de l’intérieur. La famille modèle, elle n’existait pas et elle n’avait jamais existait. C’était du vent tout ça, un sublime rien auquel tes parents semblaient pourtant invariablement s’accrocher, même quand il vacillait. Ouais, depuis ton adolescence, t’en voyais des femmes défiler au bras de ton père ou des hommes s’enfuir sur la pointe des pieds une fois la nuit tombée. Vous saviez, tous, mais personne ne disait rien et aux représentations mondaines, Mr et Mrs Bell rayonnaient, main dans la main.

Puis y’a eu cet anniversaire, ce 6 novembre 2021 où ta vie a basculé à jamais. Une fête, une immense fête comme vous saviez si bien les organiser ta soeur et toi. Villa louée pour l’occasion, dj aux platines, rien ne semblait trop beau pour vous. La démesure bien sûr. Toujours plus d’alcool, toujours plus de drogues, tout pour rendre ce moment inoubliable, ou pour vite l’oublier peut-être. Minuit approche, bientôt vous soufflerez vos bougies mais voilà que tu ne retrouves pas la trace d’Oli. Malgré les substances qui ralentissent tes pensées, t’as tout de suite un mauvais pressentiment et c’est avec une angoisse croissante que tu parcours chaque pièce de la villa pour la retrouver, avant de traverser le jardin qui mène vers la route. Les pompiers sont là et s’affairent autour de son corps inanimé. Overdose, qu’ils te lâchent du bout des lèvres avant de te demander de te tenir tranquille. Mais tu sais toi déjà qu’il n’y a rien à faire, qu’il est déjà trop tard. Oli, elle reviendra pas. Oli, elle est déjà loin. Et malgré toutes leurs tentatives, le décès est prononcée quelques minutes plus tard. La suite, tu t’en souviens à peine. T’es en état de choc lorsque tes parents débarquent et tu prononce pas un mot. Pas plus que lors de l’enterrement, tu te contentes de serrer la main de tas d’inconnus qui murmurent qu’ils sont désolés et qu’ils comprennent ce que tu dois ressentir, sans se douter un seul instant de ce qu’on ressent vraiment quand on perd une partie de soi. Te voilà maintenant seul Marcus, pour la première fois de ton existence. Parce que tes parents, ils sont pas là pour toi. Ils reprennent le cours de leur vie, comme si de rien n’était. Ils te répètent de prendre du temps pour toi, comme si ça allait changer quelque chose. Bientôt, Mr Bell se met à parler aux journaux télévisés de la mort de sa fille, il réoriente sa campagne dans l’optique d’une lutte acharnée contre les trafiquants de drogue, pour que « plus jamais un tel drame ne survienne dans une famille ». On te répète sans cesse que c’est bien ce qu’il fait ton père, que tu dois être fier de lui, que cette épreuve a dû souder votre famille plus que jamais. Alors tu exploses et tu prends la poudre d’escampette, parce que tu sais que jamais tu ne leur pardonnera d’avoir instrumentalisé ta soeur, d’avoir mis en scène votre douleur. T’as aucune idée de comment ils vivent la perte d’Olivia en réalité et t’as pas cherché à le savoir. Une ancienne connaissance avec qui t’as vaguement gardé contact depuis que t’as habité à Sunrise Valley t’as proposé un bout de son canapé quand t’as admis que t’avais besoin de partir et t’as accepté sans vraiment hésiter, parce que tu sais que t’as besoin d’un nouveau départ, loin des Bell, pour retrouver un semblant d’équilibre. Suite à la lecture d’une annonce, tu t’es engagé comme pompier volontaire et à côté de ça, tu travailles pour joindre les deux bouts. Pour l’instant, tu survis.